
La croyance qu’une sécurité parfaite s’obtient en éliminant l’erreur humaine est le plus grand obstacle à son atteinte.
- Les bonis sur les taux d’accidents créent une culture du silence, non de la sécurité.
- Le vrai pouvoir est de donner à chaque employé la légitimité d’arrêter la production sans crainte de représailles.
Recommandation : Cessez de chercher le coupable et commencez à analyser les défaillances de votre système. C’est là que se trouve la clé de la performance en santé-sécurité au travail (SST).
En tant que directeur d’usine à Montréal, vous connaissez cette sensation. Celle de passer vos journées à faire la police, à traquer les infractions, à répéter les mêmes consignes de sécurité, pour voir un autre incident se produire. Vous avez affiché les procédures, organisé des réunions, et pourtant, le sentiment persiste que vous êtes seul à porter le fardeau de la sécurité. Vous visez plus haut, un état d’interdépendance où la sécurité devient une valeur partagée, un réflexe collectif, un peu comme le décrit la courbe de Bradley. Mais comment passer de la contrainte à la conviction ?
Les approches traditionnelles se concentrent sur le comportement de l’individu, cherchant à corriger, former et parfois punir. Elles sont nécessaires, mais fondamentalement incomplètes. Elles créent une culture de conformité, où les employés respectent les règles par peur de la sanction, mais ne s’approprient pas la démarche. Cette culture est fragile et s’effondre dès que la surveillance se relâche. Le nombre de dossiers ouverts pour accidents du travail, qui a augmenté de 5,9% entre 2020 et 2024 au Québec, montre que malgré les efforts, les risques demeurent omniprésents.
Et si la véritable clé n’était pas de renforcer la surveillance, mais de bâtir une confiance systémique ? Si, au lieu de vous demander “Qui a fait l’erreur ?”, vous commenciez à demander “Pourquoi notre système a-t-il permis que cette erreur se produise ?”. C’est un changement de paradigme radical. Il s’agit de cesser de blâmer les individus pour se concentrer sur la conception de systèmes de travail (procédures, équipements, organisation) qui rendent les comportements sécuritaires plus faciles, plus logiques et plus valorisés que les raccourcis dangereux.
Cet article n’est pas une nouvelle liste de règles à afficher. C’est une feuille de route pour vous, leader, afin de transformer votre rôle de policier en celui d’architecte d’une culture de sécurité interdépendante. Nous allons déconstruire les mécanismes qui freinent votre performance SST et vous donner les outils concrets pour bâtir un environnement où chaque employé, du journalier au gestionnaire, a le pouvoir et la légitimité d’agir pour sa sécurité et celle des autres.
Pour vous guider dans cette transformation, nous aborderons les piliers essentiels qui permettent de passer d’une culture réactive à un système de sécurité véritablement proactif et intégré. Cet aperçu vous donnera une vision claire des étapes à franchir.
Sommaire : Bâtir une culture de sécurité interdépendante à Montréal
- Pourquoi lier les bonis au taux d’accidents encourage la non-déclaration ?
- Comment rendre les “Safety Talks” intéressants pour des travailleurs blasés ?
- Autoriser n’importe qui à arrêter la ligne : le test ultime de crédibilité de la direction
- Le risque de punir l’erreur humaine au lieu de corriger le système défaillant
- Quand utiliser la méthode des “5 Pourquoi” pour trouver la vraie racine du problème ?
- Dans quel ordre former les nouveaux journaliers pour garantir leur sécurité dès le jour 1 ?
- Comment organiser une marche Gemba productive avec la direction ?
- Comment identifier les risques ergonomiques avant qu’ils ne causent des troubles musculosquelettiques ?
Pourquoi lier les bonis au taux d’accidents encourage la non-déclaration ?
C’est une idée qui semble logique en surface : récompenser les équipes pour un faible nombre d’accidents devrait logiquement inciter à plus de prudence. Pourtant, en pratique, cette approche est l’un des plus puissants poisons pour une culture de sécurité saine. En liant une récompense financière à un indicateur réactif comme le taux d’accidents, vous ne mesurez pas la sécurité ; vous mesurez la capacité de vos équipes à cacher les problèmes. La pression des pairs et la peur de faire perdre un boni au groupe créent un incitatif pervers à ne pas déclarer les petits bobos, les quasi-accidents ou même les blessures mineures nécessitant des soins.
Ce silence organisationnel est dangereux. Chaque incident non déclaré est une occasion manquée d’apprendre et de corriger une faille dans votre système avant qu’elle ne conduise à un événement grave. Vous pilotez votre usine à l’aveugle, avec un tableau de bord qui affiche un “zéro accident” trompeur, alors que les risques s’accumulent sous la surface. Le véritable objectif n’est pas d’atteindre le “zéro accident”, mais le zéro silence. Il faut donc changer radicalement la nature de ce que vous mesurez et récompensez.
Passez des indicateurs réactifs aux indicateurs proactifs. Valorisez les actions qui préviennent les accidents, plutôt que l’absence d’accidents déclarés. Cela envoie un message clair : nous récompensons la transparence et l’engagement, pas la chance ou le silence. Voici quelques alternatives concrètes pour réorienter votre système de bonification :
- Récompenser le nombre de quasi-accidents déclarés et analysés, car ils sont une mine d’or d’informations préventives.
- Valoriser les suggestions d’amélioration SST soumises et mises en œuvre par les employés, transformant chaque travailleur en expert de la prévention.
- Bonifier la participation active aux formations SST, aux inspections préventives et aux autres activités de prévention.
En adoptant ces mesures, vous ne récompensez plus le résultat (ou son absence), mais bien le processus et l’engagement. Vous encouragez la vigilance et la communication, qui sont les véritables fondations d’une culture interdépendante.
Comment rendre les “Safety Talks” intéressants pour des travailleurs blasés ?
Le “quart d’heure sécurité” du lundi matin. Pour beaucoup de travailleurs, c’est devenu un rituel sans âme : un superviseur lit une procédure que tout le monde connaît, les yeux sont rivés sur l’horloge, et l’information est oubliée cinq minutes plus tard. Ces monologues descendants sont non seulement inefficaces, mais ils renforcent l’idée que la sécurité est une corvée, une case à cocher. Pour réengager des équipes blasées, il faut transformer ces causeries en véritables conversations participatives.
Le secret est de passer de la transmission d’information à la résolution de problèmes en commun. Arrêtez de parler “de” la sécurité et commencez à parler “avec” vos équipes de leurs réalités. Utilisez des photos ou vidéos de situations réelles (anonymisées) de votre propre usine. Analysez un quasi-accident récent. Demandez-leur : “Qu’est-ce qui aurait pu mal tourner ici ? Comment feriez-vous pour sécuriser cette tâche différemment ?”. L’engagement naît de la pertinence et de l’interaction.
L’illustration ci-dessous capture l’essence d’un atelier transformé : un espace d’échange où les participants sont actifs, manipulent des pièces et collaborent, loin du format conférence ennuyeux.

Une méthode extrêmement efficace pour dynamiser ces rencontres est d’initier vos équipes à des outils d’analyse simples. Par exemple, la CNESST propose des ateliers pour s’initier à la méthode de l’arbre des faits, qui permet de décortiquer un événement pour en comprendre les causes multiples. Organiser une causerie autour de la construction d’un mini-arbre des faits sur un incident mineur est infiniment plus marquant que de lire une règle. Cela développe leur esprit d’analyse et leur donne un langage commun pour discuter des risques.
Variez les formats : invitez un travailleur expérimenté à partager une “frayeur” qu’il a eue, organisez un concours pour trouver la meilleure solution à un petit risque identifié, ou faites une démonstration pratique sur le bon usage d’un nouvel équipement. L’objectif est simple : faire en sorte que chaque employé quitte la causerie en ayant appris ou partagé quelque chose de concret et d’utile pour sa journée de travail.
Autoriser n’importe qui à arrêter la ligne : le test ultime de crédibilité de la direction
Vous pouvez placarder tous les slogans “la sécurité d’abord” que vous voulez. La véritable mesure de votre engagement se révèle au moment où un journalier, payé à l’heure, appuie sur le bouton d’arrêt d’urgence parce qu’il a un doute, stoppant une ligne qui coûte des milliers de dollars par minute. La réaction de son superviseur et de la direction dans les 60 secondes qui suivent en dit plus sur votre culture que n’importe quel rapport annuel. Si la première question est “Pourquoi as-tu arrêté ?”, le message est clair : la production prime. Si la première question est “Merci. Quel est le risque que tu as vu ?”, vous venez de construire des mois de confiance en un instant.
Donner le pouvoir d’arrêt légitime à chaque employé est le symbole le plus fort d’une culture interdépendante. C’est un transfert de pouvoir qui démontre que l’organisation fait confiance à l’expertise de terrain de ses travailleurs plus qu’elle ne craint une perte de productivité. Dans un contexte québécois où l’on observe une augmentation de 61,0% des accidents du travail déclarés entre 2021 et 2022, encourager cette vigilance est non seulement une bonne pratique, mais une nécessité stratégique pour gérer ce flux croissant de signaux faibles.
Cependant, autoriser l’arrêt ne suffit pas. Il faut le célébrer. Chaque arrêt de ligne pour une raison de sécurité est une victoire culturelle, pas un problème de production. C’est une défaillance potentielle qui a été interceptée avant de causer un drame. Pour ancrer ce comportement, mettez en place un protocole de reconnaissance clair et immédiat :
- Remercier publiquement l’employé dans les deux heures suivant l’arrêt, idéalement par un membre de la direction.
- Documenter l’intervention comme une “victoire de la sécurité” dans le bulletin interne ou sur les écrans d’information.
- Communiquer la solution corrective qui a été apportée à toute l’usine dans les 24 heures pour montrer que l’action a eu un impact positif.
- Impliquer le représentant en santé et sécurité (RSS) comme garant du processus, assurant qu’aucune forme de représailles, même subtile, n’est tolérée.
Quand les employés voient qu’un arrêt ne mène pas à une convocation au bureau mais à une reconnaissance positive, la peur s’efface au profit de la responsabilité. C’est à ce moment précis que la surveillance mutuelle devient bienveillante et que la culture bascule vers l’interdépendance.
Le risque de punir l’erreur humaine au lieu de corriger le système défaillant
Lorsqu’un accident survient, le réflexe premier, humain et organisationnel, est de chercher un coupable. “L’employé n’a pas suivi la procédure”, “il a pris un raccourci”, “il était distrait”. Cette approche, centrée sur la faute individuelle, est un cul-de-sac. En punissant l’erreur humaine involontaire, vous ne faites qu’inciter les autres à mieux cacher leurs propres erreurs. Vous ne corrigez rien au système qui a rendu cette erreur possible, voire probable. Une culture de sécurité mature ne demande pas “qui ?”, mais “pourquoi ?”.
C’est le principe fondamental de la Culture Juste (Just Culture). Ce modèle propose un cadre pour répondre aux erreurs de manière équitable et productive. Il établit une distinction cruciale entre trois types de comportements : l’erreur humaine (glisser en oubliant une étape), le comportement à risque (choisir de prendre un raccourci pour gagner du temps, en pensant que le risque est faible) et la violation intentionnelle (ignorer délibérément une règle de sécurité vitale). La réponse de l’organisation doit être radicalement différente pour chacun.
L’image suivante illustre cette idée : un seul rouage désaligné (l’erreur) n’est souvent que le symptôme visible d’une tension ou d’une défaillance dans l’ensemble du mécanisme (le système).

Pour un directeur d’usine, le défi est de doter ses superviseurs d’une grille de lecture claire pour éviter les jugements à l’emporte-pièce. L’objectif est de consoler l’erreur, de coacher le comportement à risque, et de ne sanctionner que la violation intentionnelle. Le tableau suivant, inspiré des principes de la Culture Juste, est un outil décisionnel simple à partager avec vos gestionnaires de premier niveau pour standardiser les réactions face à un incident.
| Type de comportement | Réaction appropriée | Action corrective |
|---|---|---|
| Erreur humaine involontaire | Consoler et soutenir | Améliorer le système (Poka-Yoke, formation) |
| Comportement à risque | Coacher | Comprendre et supprimer les incitatifs au risque (pression de temps, etc.) |
| Violation intentionnelle | Sanctionner | Mesures disciplinaires progressives |
En adoptant ce cadre, vous déplacez le focus de la chasse aux sorcières vers l’analyse systémique. Chaque erreur devient une donnée précieuse pour renforcer vos barrières de prévention, qu’elles soient techniques, organisationnelles ou humaines.
Quand utiliser la méthode des “5 Pourquoi” pour trouver la vraie racine du problème ?
La méthode des “5 Pourquoi” est populaire pour sa simplicité : en demandant “Pourquoi ?” de manière répétée, on espère remonter de la conséquence visible à la cause fondamentale. C’est un excellent outil de “dégrossissage” pour des problèmes simples et linéaires. Par exemple : “La flaque d’huile au sol (P1?) → Parce que le joint fuit (P2?) → Parce que le joint est usé (P3?) → Parce qu’il n’a pas été changé selon le plan de maintenance (P4?) → Parce que le plan de maintenance n’inclut pas ce joint (P5? Cause racine organisationnelle)”.
Cependant, sa simplicité est aussi sa plus grande faiblesse. Pour des accidents complexes, qui sont rarement le fruit d’une seule chaîne de causalité, les “5 Pourquoi” peuvent être trompeurs. Ils tendent à identifier une seule cause racine, alors qu’un accident majeur est presque toujours la confluence de multiples défaillances systémiques (techniques, humaines, organisationnelles) qui se sont alignées au mauvais moment. L’outil risque de s’arrêter à la première cause évidente, souvent une “erreur humaine”, sans explorer les autres chemins qui ont mené à l’événement.
Pour les analyses d’événements plus sérieux ou récurrents, des méthodes plus robustes sont nécessaires. Au Québec, la CNESST préconise et forme les entreprises à la méthode de l’Arbre des Causes (ou arbre des faits). Cet outil visuel permet de cartographier l’ensemble des faits et des facteurs ayant contribué à l’accident, révélant ainsi les interactions complexes et les multiples causes racines. Il oblige à une enquête rigoureuse et factuelle, loin des suppositions. Le principe est d’établir une chronologie des faits, puis de remonter chaque branche en se demandant “Qu’a-t-il fallu pour que cela arrive ?”.
Le choix de la méthode dépend donc de la complexité du problème. Utilisez les “5 Pourquoi” pour une résolution de problème rapide sur le terrain, pour un incident mineur et non récurrent. Mais dès qu’un événement implique plusieurs personnes, plusieurs services ou a des conséquences significatives, basculez sur l’Arbre des Causes pour une analyse systémique complète. Comme le rappelle un principe clé enseigné lors des formations sur l’analyse des causes :
Si l’analyse ne se termine pas par une défaillance du système ou une décision managériale, elle est incomplète.
– Principe fondamental de l’analyse des causes, Formation CNESST sur l’arbre des causes
Cette phrase résume tout : une analyse qui s’arrête à “l’opérateur a oublié” est une analyse ratée. La vraie question est “Pourquoi le système a-t-il permis ou encouragé l’opérateur à oublier ?”.
Dans quel ordre former les nouveaux journaliers pour garantir leur sécurité dès le jour 1 ?
L’accueil d’un nouvel employé, surtout dans un contexte montréalais où la main-d’œuvre est diversifiée et souvent issue de l’immigration, est une phase critique. Le premier jour, le nouveau travailleur est submergé d’informations et cherche avant tout à “bien faire” et à être productif. La sécurité peut alors passer au second plan. Un plan d’intégration SST structuré est donc non négociable pour éviter que cette vulnérabilité ne se transforme en accident. Les statistiques sont éloquentes : les données de la CNESST révèlent une hausse alarmante de 107% des accidents du travail chez les femmes en 2022, une population souvent surreprésentée dans les postes de journaliers.
Une formation efficace n’est pas un déversement d’informations, mais une construction progressive des compétences, allant du général au spécifique. On ne peut pas tout apprendre en une journée. Il faut prioriser les risques selon leur probabilité et leur gravité, en créant une pyramide de formation qui assure une protection immédiate tout en construisant une expertise à long terme.
La qualité des équipements de protection individuelle (EPI) est la base physique de cette sécurité. Leur texture, leur matière et leur bonne utilisation sont des éléments tangibles qui ancrent les concepts de sécurité dans le réel.

Une intégration réussie doit s’étaler sur plusieurs semaines et inclure une validation pratique à chaque étape. Le plan suivant offre une structure logique pour garantir que chaque nouveau journalier maîtrise les compétences de sécurité dans le bon ordre.
Votre plan d’action : la pyramide de formation SST pour les nouveaux
- Jour 1 (Fondations) : Maîtriser les risques généraux et mortels de l’usine. Cela inclut le plan de circulation des chariots élévateurs, le plan des mesures d’urgence, les règles d’or non négociables (ex: cadenassage) et la politique d’arrêt de travail.
- Semaine 1 (Poste de travail) : Se concentrer sur les risques spécifiques au poste. La formation doit être faite par un superviseur ou un parrain, avec une validation pratique supervisée avant que l’employé ne soit autorisé à opérer seul.
- Semaines 2-4 (Intégration sociale) : Mettre en place et former au système de parrainage. Pour un public immigrant, il est crucial que le parrain soit formé aux aspects interculturels et à la communication claire, sans jargon.
- Mois 1 (Autonomie) : Former aux tâches non routinières et à la gestion des imprévus. Que faire si la machine bloque ? Qui appeler en cas de doute ? C’est cette formation qui prépare à gérer les situations qui sortent du cadre.
Ce processus structuré transforme l’intégration d’une simple formalité administrative en un véritable parcours de développement de compétences, assurant que la sécurité est la première compétence maîtrisée par chaque nouvel arrivant.
Comment organiser une marche Gemba productive avec la direction ?
La marche Gemba, ou “tournée de terrain”, est un outil de leadership puissant, à condition qu’elle soit bien menée. Trop souvent, elle se transforme en une visite d’inspection où la direction cherche les non-conformités, mettant les employés sur la défensive. Une marche Gemba productive est tout le contraire : c’est un acte d’humilité où les leaders vont sur le “vrai lieu” (le sens de Gemba en japonais) pour observer, écouter et apprendre de ceux qui font le travail. L’objectif n’est pas de trouver des coupables, mais de comprendre les obstacles qui empêchent les travailleurs de faire leur travail de manière sécuritaire et efficace.
Pour être productive, une marche Gemba doit être préparée avec une intention claire. Ne vous promenez pas au hasard. Choisissez un thème précis pour chaque tournée, aligné sur vos enjeux SST actuels. Cette approche ciblée permet d’avoir des conversations plus profondes et de ne pas se disperser. L’approche participative, au cœur des enquêtes menées par la CNESST pour comprendre les causes d’accidents, doit être votre modèle : le but est de comprendre pour prévenir.
Voici des thèmes prioritaires, inspirés des programmes de prévention de la CNESST, pour structurer vos prochaines marches Gemba et les rendre immédiatement plus productives :
- Identifier les irritants et les raccourcis : Posez des questions comme “Quelle est la partie la plus frustrante de votre tâche ? Y a-t-il une étape où vous êtes obligé de prendre un raccourci pour tenir le rythme ?”.
- Observer le cadenassage et la sécurité des machines en action : Ne demandez pas “Suivez-vous la procédure ?”, mais “Montrez-moi comment vous cadenassez cette machine pour une intervention rapide”. Observez les gestes réels, pas la théorie.
- Évaluer l’ergonomie réelle des postes de travail : Observez les postures, les mouvements répétitifs, les efforts de levage. Demandez : “À la fin de votre quart de travail, où avez-vous mal ?”.
- S’engager sur UNE action corrective : Une Gemba sans suite est pire qu’une absence de Gemba. Identifiez UN problème, même petit, que vous pouvez résoudre rapidement. Engagez-vous publiquement à le corriger et communiquez sur sa résolution dans les 48 heures.
La règle d’or est “aller voir, demander pourquoi, montrer du respect”. En posant des questions ouvertes et en écoutant sans juger, vous obtiendrez des informations qu’aucun rapport ou indicateur ne pourra jamais vous donner. Vous découvrirez les “non-dits”, les adaptations et les astuces que les employés développent pour faire face aux contraintes du système. C’est dans ces détails que se cachent vos plus grandes opportunités d’amélioration.
Les points essentiels à retenir
- Passez des indicateurs réactifs (taux d’accidents) aux indicateurs proactifs (quasi-accidents déclarés, suggestions d’amélioration).
- Donnez un pouvoir d’arrêt légitime à chaque employé et célébrez chaque utilisation comme une victoire culturelle.
- Adoptez une “Culture Juste” : consolez l’erreur, coachez le comportement à risque et ne sanctionnez que la violation intentionnelle.
Comment identifier les risques ergonomiques avant qu’ils ne causent des troubles musculosquelettiques ?
Les troubles musculosquelettiques (TMS) sont une épidémie silencieuse dans le secteur manufacturier. Contrairement à un accident soudain, ils s’installent progressivement, résultat de postures contraignantes, de mouvements répétitifs ou d’efforts excessifs. Quand un travailleur déclare un TMS, le mal est déjà fait et le coût pour l’individu et l’organisation est immense. Une approche proactive de l’ergonomie est donc essentielle, non seulement pour le bien-être des employés, mais aussi pour la performance de l’entreprise. Les données québécoises montrent d’ailleurs une augmentation de 147,5% des maladies professionnelles de 2013 à 2022, une tendance alarmante où les TMS jouent un rôle majeur.
L’identification des risques ergonomiques ne doit pas attendre les premières plaintes. Elle doit être intégrée dans vos processus quotidiens. Vos meilleurs experts pour déceler ces risques sont vos propres employés. Ils sont les capteurs les plus sensibles aux contraintes de leur poste. Mettez en place des canaux simples pour recueillir leurs observations : une boîte à idées dédiée à l’ergonomie, des questions ciblées lors des marches Gemba (“Quelle partie de votre corps est la plus sollicitée ?”), ou des cartographies de la douleur où les employés peuvent indiquer anonymement les zones de leur corps qui sont douloureuses en fin de journée.
L’analyse des données existantes est aussi une source précieuse. Croisez les informations : les postes avec le plus fort taux d’absentéisme, ceux qui connaissent une baisse de qualité ou de productivité, ou encore les zones où les accidents mineurs (coupures, chocs) sont fréquents. Ces indicateurs sont souvent des signaux faibles d’une mauvaise conception de poste qui fatigue les opérateurs et diminue leur vigilance. Si le secteur de la fabrication de biens durables n’est pas le plus touché au Québec, il arrive tout de même en deuxième position après les soins de santé, avec 10 297 dossiers de lésions professionnelles, soulignant l’urgence d’agir.
Constituez une petite équipe pluridisciplinaire (opérateur, superviseur, maintenance, RSS) pour analyser les postes de travail les plus à risque. Utilisez des outils simples comme la vidéo pour décomposer les mouvements et identifier les postures critiques. L’objectif n’est pas de viser une “ergonomie parfaite” et coûteuse partout, mais de prioriser les “victoires rapides” : changer la hauteur d’une table, fournir un tapis anti-fatigue, améliorer l’éclairage, ou réorganiser le stockage des outils pour limiter les torsions. Chaque petite amélioration est un pas vers la prévention des TMS et une meilleure performance globale.
Maintenant que vous avez cette feuille de route, le plus grand défi est de faire le premier pas. Commencez petit. Choisissez une des stratégies de cet article – par exemple, organiser votre prochaine marche Gemba autour de l’identification des irritants – et mettez-la en pratique dès la semaine prochaine. Le chemin vers une culture interdépendante est un marathon, pas un sprint, et chaque pas compte.